Episode 7 : C’était au temps où Schaerbeek s’enlisait…

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Première partie : Insouciance – Episode 7

Focus sur la petite commune de Saint-Josse où j’ai donc fait mes armes en politique, entre 1982 et 1987. La commune, voisine de Schaerbeek, comptait une majorité de population d’origine non belge et les naturalisations étaient limitées (la loi sur les naturalisations fut votée plus tard). Si bien que la minorité belgo-belge était politiquement dominante, alors qu’elle représentait à peine un tiers de la population totale de la commune.

A l’époque, Guy Cudell, bourgmestre socialiste en titre, faisait la pluie et le beau temps sur ses terres depuis des lustres. Un véritable potentat, un baron qui faisait le vide autour de lui. Tout-puissant, il eut une longévité exceptionnelle puisqu’il fut bourgmestre de 1953 à 1999 (soit 46 ans !) au moment de son décès. Un film documentaire réalisé en 1996 par Marie Hélène Massin, « Le bourgmestre a dit », cadre très bien ce personnage haut en couleur, jamais avare de coups de gueule au Conseil communal, remettant à leur place conseillers et ceux qui ne partageaient pas ses idées.  Ses échevins faisaient de la figuration, car c’était lui seul qui gouvernait. Par contre, il faisait preuve d’une extrême disponibilité (paternaliste) pour la population. En fait, sa commune était toute sa vie. Il connaissait mieux sa commune que son propre salon, ainsi que le prénom de la moitié de ses administrés.

Pendant la campagne électorale de 1982 qui fut lancée dès le mois d’août, se multiplièrent rapidement des panneaux d’affichage de 20m². Sans aucune inscription et sur un fond bleu nuit, s’y affichait, rayonnante, la photo de Guy Cudell, Bourgmestre de Saint- Josse-ten-Noode. L’homme n’avait nul besoin d’en dire plus. Tout le monde dans la commune connaissait son mayeur.

L’UDRT allait cependant jouer les perturbateurs. Le parti présentait une liste avec à sa tête Michel Géoris plus une petite dizaine de candidats sans aucune expérience politique… dont moi.

Géoris avait déjà un long passé politique. Dans les années 1960, il avait participé au mouvement « La gauche ». C’est là qu’il fit la rencontre de Guy Cudell. Autant dire que le courant ne passa pas entre les deux hommes, ceci expliquant pourquoi Cudell fit de cette petite liste UDRT sa cible privilégiée de campagne en 1982.

La réponse de l’UDRT fut du même acabit. Une riposte digne d’un grand vaudeville : tracts provocateurs, billets de banque photocopiés et collés savamment sur les affiches géantes de Guy Cudell à hauteur de ses poches…

Ces affiches traficotées mirent Guy Cudell hors de lui. Il n’avait pas l’habitude de se faire houspiller de telle façon. Quoi ! Une contestation, une rébellion sur ses propres terres ? Insupportable ! Les insultes volaient bas lors des meetings pré-électoraux.

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La liste de l’UDRT qui n’avait que 6 mois d’existence, remporta malgré tout un joli succès avec 14% des suffrages. Un succès inespéré dans cette petite commune de 20 000 habitants. Au lendemain du scrutin, l’UDRT disposait dès lors de trois conseillers communaux (dont un certain Jean-Pierre Van Gorp) et d’un conseiller de CPAS.

Ce fut incontestablement une école fabuleuse pour un jeune conseiller. J’observais la « bête politique » qu’était Guy Cudell. Sa politique était aux antipodes de celle pratiquée à Schaerbeek par Roger Nols mais il y avait néanmoins des similitudes dans l’art de gouverner et de museler l’opposition. Aucun membre de la majorité ne prenait la parole lors des séances du Conseil communal. C’est lui qui menait le bal. Avec un art consommé, Guy Cudell savait faire sortir l’opposition de ses gongs pour l’assommer ensuite.

Il savait aussi endormir son auditoire et casser les velléités de l’opposition. Le temps de parole n’étant alors pas limité, le Bourgmestre Cudell pouvait tenir le crachoir pendant des heures, comme il le fit un soir en nous faisant la genèse de tous les architectes du 20ème siècle. Autant vous dire qu’ensuite les questions des conseillers se firent plutôt rares…

Son principal défaut ? Il ne supportait pas la contestation. Ce qui l’amena un jour à prendre une étonnante mesure vis-à-vis d’habitants de l’avenue Georges Pêtre qui avaient osé lui tenir tête : pas de crèche de Noël dans le quartier en représailles !

En quelques mois, l’UDRT était devenue le fer de lance de la contestation au conseil communal. Nous n’étions pas toujours politiquement corrects, il faut bien l’avouer, et souvent populistes, concédons-le. Cela exaspérait la presse en général et François Robert, le journaliste du journal Le Soir en particulier.

Et Schaerbeek dans tout cela ? Tandis que l’UDRT jouait les trouble-fête dans la petite commune de Saint-Josse aux élections de novembre 1982, la liste N.O.L.S. (FDF) en coalition avec le parti libéral et le PSC (futur CDH), décrochait une très large majorité.

Le véritable coup de tonnerre se produisit le 28 septembre 1984. Nols afficha son vrai visage lorsqu’il invita Jean-Marie Le Pen à Schaerbeek. La conférence se tint au Neptunium, à la piscine communale. Le FDF bruxellois prit immédiatement et définitivement ses distances avec lui. Mais localement, il en alla tout autrement : l’ensemble des élus FDF de la liste devint « nolsiste ».

Il faut dire que Nols avait fait fort, en invitant Le Pen. La conférence déclencha des émeutes dans le quartier et toutes les vitres volèrent en éclats. Des années plus tard, Christian Germain, alors responsable de la piscine à l’époque, m’avoua avoir souscrit une assurance bris de glace un mois plutôt en prévision…

A 17h30, les échauffourées se durcirent. Le commissaire en chef François Smet informa Roger Nols qu’il allait faire appel au bataillon de gendarmerie qui stationnait le long du parc Josaphat. Nols lui demanda d’attendre mais le commissaire, voyant la situation se dégrader rapidement, craignit pour ses hommes et refusa de patienter. Les gendarmes intervinrent. Le lendemain, le commissaire en chef donnait sa démission au Bourgmestre Nols.

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Le bourgmestre de Schaerbeek ne s’arrêta pas en si bon chemin. Les provocations se poursuivirent. Ainsi, Roger Nols arriva le matin du 31 décembre 1986 à la maison communale à dos de chameau… Une image qui fit la une des journaux télévisés. En quelques années, la commune de Schaerbeek s’est forgé une bien triste réputation. Nols avait galvaudé « ma commune » de bien vilaine manière, j’en pris conscience quelques années plus tard.

A Saint-Josse, je m’ennuie de plus en plus (politiquement parlant) et la commune de mon enfance me manque. Au cours de l’année 1987, je décide de démissionner du Conseil communal de Saint Josse pour revenir habiter à Schaerbeek, au-dessus de mon imprimerie. J’y accueille en outre ma tante et marraine bien aimée, devenue trop âgée pour vivre seule.

Débordé de travail, je garde un œil sur la dérive politique schaerbeekoise. C’est alors que ma vie bascule à nouveau.

A demain.