Episode 10 : C’était au temps où Schaerbeek tremblait…

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Deuxième partie : Prises de conscience – Episode 10

Matinée d’un jeudi du début janvier 1989, place Colignon…

Après avoir ouvert la porte, je découvre une pièce austère de 6 m sur 6m. Elle est spartiate : une petite cheminée surmontée par un miroir, une grande armoire. Au milieu de la pièce, on aperçoit un bureau en bois tout simple, un vieux fauteuil et deux chaises. Le tout éclairé par un lustre vieillot.

Hormis le téléphone, il n’y a rien de fonctionnel. Pas un classeur, pas un Bic, pas un papier, rien de chez rien. Face à la cheminée, se dresse une double porte en bois vitré donnant sur une pièce de la même taille que la première. Elle est remplie d’armoires vides et contient deux bureaux. Sur l’un d’eux, se trouve un vieux combiné téléphonique. Tel est le « bureau » d’échevin que l’on m’a attribué.

Novice, je n’avais jusqu’alors pas saisi l’importance des tractations post-élections. J’avais obtenu les compétences souhaitées et ne m’étais donc pas préoccupé du reste qui visiblement était loin d’être négligeable.

Ainsi, j’avais assisté à des foires d’empoigne pour l’attribution des cabinets d’échevins. Certains étant plus imposants car d’apparat que d’autres, certains plus historiques ou plus ensoleillés. N’ayant rien revendiqué, je me suis donc retrouvé avec un modeste bureau au sous-sol, probablement aussi un message certain des anciens du Collège et une forme d’humiliation vis-à-vis du petit nouveau.

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L’accès à mon bureau est du même acabit : dans les années qui vont suivre, je répéterai des centaines de fois à mes visiteurs ces mots « sous- sol, entrée par la police puis suivre les flèches en carton ».

Dans un silence total, je reste un long moment assis, prostré, anéanti derrière mon bureau en me demandant si je ne rêve pas.

Je ne suis pas au bout de mes surprises. Vers 11h30 de cette étrange matinée, je sursaute, car on a  frappé à la porte. Celle-ci s’ouvre. Une dame d’une cinquantaine d’années se présente : « Bonjour Monsieur l’Echevin, je m’appelle Nicole Sanderson. On m’a signifié ce matin que je suis votre secrétaire. »

Je lui propose de quitter cet endroit peu convivial et de prendre un café à l’Oldies, taverne bien plus engageante que mon bureau, située en face de la maison communale. Je commence par me présenter. Ensuite, j’écoute son histoire de 30 années passées au sein de l’administration schaerbeekoise. L’atmosphère se détend rapidement et nous parlons déjà de notre organisation future au sein du bureau.

L’après-midi, déboule dans mon bureau le chef du service Jeunesse Robert Van Brussel. C’est un personnage brillant. Mais son engagement militant socialiste à Evere lui a valu une mise à l’écart progressive (en clair une voie de garage) dans l’administration de Schaerbeek.

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Un bureau en sous-sol et un chef de service mal noté. Mes nouveaux collègues du Collège échevinal sont du genre cynique et manient un curieux humour. Un ex-UDRT associé à un militant socialiste pur et dur. Ils ont dû trouver drôle de « punir » Van Brussel.  Ils se sont peut-être dit aussi qu’ils faisaient d’une pierre deux coups : sanctionner Van Brussel et par la même occasion neutraliser Van Gorp.

Ce choix s’avérera pourtant être la première et probablement la pire erreur de cette majorité. Mais cela nous ne le savons pas encore, Van Brussel et moi. Nous nous sentons l’un et l’autre plutôt mal à l’aise face à une situation assez surréaliste. Nous  discutons durant plus de deux heures en essayant de mieux nous connaître. Je me veux rassurant sur ma démarche politique, même si mon récent passé politique, à ses yeux, ne plaide pas en ma faveur.

En fait, il nous a fallu un peu de temps pour nous « apprivoiser » mutuellement et surtout nous apprécier. Nous deviendrons finalement complices d’une belle aventure qui durera très exactement 2 ans 3 mois et 12 jours. Robert connaît Nicole depuis longtemps (l’administration communale est une grande famille), ce qui facilite les contacts. C’est donc à trois que, tous les matins, nous lisons la presse dans laquelle je ne suis pas épargné.

Je suis, dixit les médias, considéré comme la brebis galeuse du nouveau Collège. Aux yeux des médias, je suis à la droite de la nouvelle majorité, qui est déjà fort à droite. Personnellement, je n’imaginais pas qu’il soit possible d’être encore plus à droite que certains de mes collègues. Mais ce n’est visiblement pas l’opinion des journalistes. Pourquoi suis-je à ce point stigmatisé ? Je connais le coupable. Mon tract de campagne m’a certainement beaucoup aidé à me faire élire, mais il a aussi laissé de vilaines traces. Le côté décalé est quant à lui totalement passé aux oubliettes.

Face aux attaques en règle de la presse, nous décidons de laisser passer la tempête avant de réagir. Nous avons du pain sur la planche, car il faut tout mettre en place pour démarrer notre cabinet « Famille-Jeunesse ».

Lors de la réunion hebdomadaire du Collège, mes collègues échevins me demandent hypocritement si tout se passe bien avec Robert. Je me garde bien d’évoquer la relation de confiance qui s’installe avec Robert. Je leur explique que l’homme n’a pas l’air de se plaire chez moi. La bouche en cœur et l’air affecté, ils me rétorquent qu’il m’appartient de le mettre au pas. Je les remercie pour leurs « bons » conseils.

Nous abordons un peu plus tard le budget « Famille Jeunesse ». Et là, je crois halluciner…

A demain.