Episode 11 : C’était au temps où Schaerbeek hallucinait…

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Deuxième partie : Prises de conscience – Episode 11

Avant de relater cette première réunion du Collège du 10 janvier 1989, quelques mots sur les lieux et la composition du Collège. La salle du Collège est imposante : une énorme cheminée y trône. Aux fenêtres, on aperçoit des vitraux sur lesquels sont gravés des devises qui, il faut bien l’avouer, sont alors aux antipodes de celles appliquées, lors des réunions.

La porte d’entrée donne sur l’antichambre du cabinet du Bourgmestre. Michel Poncelet, huissier, y « trône ». Il est l’une des mémoires de notre administration communale, ayant connu quatre bourgmestres jusqu’à son départ à la retraite en 2017.

Dans la Salle du Collège, on trouve notamment d’imposants rayonnages où s’alignent, dans des ouvrages splendidement reliés, tous les procès-verbaux des réunions du Conseil communal de Schaerbeek. Parmi ceux-ci, j’en ai repéré un de la fin du XIXe siècle, relatant une séance particulièrement houleuse, avec des propos très animés entre deux élus. L’échauffourée verbale se terminera d’ailleurs par un duel à l’épée… Autres temps autres mœurs ! Nous n’en sommes heureusement plus là.

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J’en viens à cette fameuse réunion dont je garde un souvenir assez désagréable. Le cynisme de certains, les craintes des autres et les non-dits rendaient l’ambiance franchement malsaine. Je suis assis au bout de l’énorme table.  Le Bourgmestre est au centre, dos à la cheminée, avec en face le Secrétaire communal. Cette assemblée d’une dizaine de personnes est coordonnée et contrôlée de main de maître par le Bourgmestre. Il apparaît tel un dompteur face à ses fauves, assisté par le Secrétaire communal Henri Legein, qui au fil des années, a construit une sorte de complicité avec le bourgmestre.

Henri Legein, ingénieur de formation, connaissait la Commune à la perfection. Non seulement les rouages de l’administration mais aussi tous les aspects techniques des dossiers. Il a pris une retraite bien méritée lors de la démission de Roger Nols fin 1989. Ce fut incontestablement une grande perte pour l’administration communale de Schaerbeek.

Autour de la table, il y a Philippe Op De Beek (Libéral néerlandophone) en charge de l’urbanisme. C’est un proche du Bourgmestre. Il a des allures d’hommes d’affaires, mais il est ouvert et sympathique. Puis, est assis Jean-Marie Charels (Libéral) qui a le portefeuille de l’Information et l’Economie. C’est l’image même du gendre idéal et du sénateur américain, toujours poli et discret. Mais avec des idées très à droite et très arrêtées.

Vient ensuite Jean-Paul Bosquet (Libéral) à l’Instruction publique pour un troisième mandat. Derrière ses petits yeux cyniques et son sourire en lame de rasoir, se cache un homme d’un autre temps.

Jacques Nimal est aux finances (ex PSC devenu Nolsiste). Très jésuite, il est du genre à lancer de l’huile sur les bûchers sans jamais les allumer.

Edward De Jaegher (CVP) est aux affaires flamandes, c’est donc un poste très politique au regard du contexte linguistique de l’époque. Très prudent et discret, c’est quelqu’un capable de susciter un enthousiasme positif.

Claude Paulet (ex FDF devenu Nolsiste) est échevin des Travaux publics et Classes moyennes. Un très gros poste qui fait de lui le numéro 2 du Collège après le bourgmestre. Derrière ses épais verres de lunettes, se dissimulent de petits yeux qui terrorisèrent bien des fonctionnaires. L’homme est connu pour ses colères homériques. Individualiste forcené, c’est cependant un grand travailleur.

A ses côtés, Bernard Guillaume (Libéral) en charge de l’Etat Civil et de la Population. C’est un homme clairement de droite, qui ne supporte pas les contrariétés. Allergique au changement, il est tatillon jusque dans les moindres détails.

Christian Germain (ex FDF devenu Nolsiste) est quant à lui très proche de Roger Nols. Il a l’échevinat des Sports. Il semble de prime abord assez rustre, car il est parfois brutal dans ses réactions. Il peut cependant avoir un grand cœur dans des situations données. C’est un pragmatique. Souvenez-vous que lors de la venue de Jean-Marie Le Pen, il avait pris en urgence l’initiative de souscrire une assurance bris de vitres pour les fenêtres de la piscine du Neptunium où le leader de l’extrême droite française était attendu.

Et tout au bout de la table, votre serviteur. Je me la joue discrète compte tenu de mes « petites » compétences. A côté du bourgmestre, Léon Weustenraad (ex PS ex FDF devenu Nolsiste) est aux Beaux-Arts. Il est intéressant de souligner qu’à cette époque, on parlait de Beaux-Arts et certainement pas de Culture à Schaerbeek.  L’homme est très cultivé et humain, mais il ne supporte pas les conflits et se révèle souvent incapable de trancher et de prendre une décision. Il remet alors les problèmes aux calendes grecques.

La réunion du Collège commence par des monologues des anciens échevins. Leur but est de bien marquer leur territoire. La séance se termine bientôt par un tour de table durant lequel chaque échevin peut intervenir.

Mon tour arrive enfin. Je m’empresse de soumettre mes demandes mais je vois bien qu’elles ne passionnent personne. C’est même l’indifférence totale. Pour finir, j’aborde la question financière : quel sera le budget dont disposera mon département ?

C’est le Bourgmestre lui-même qui me répond : « Les finances communales sont telles qu’elles ne permettent pas des dépenses non indispensables. Néanmoins, tu auras un petit budget pour commencer ». Je le questionne sur le montant. Réponse : « 20.000 BEF mon garçon ».

J’ai cru halluciner. 20.000 francs (500 € ) pour le budget jeunesse de toute une année ! C’est totalement désabusé que je rejoins mes deux collègues au sous-sol pour leur annoncer la nouvelle. Mon chef de cabinet, plein d’expérience, essaye de me rassurer en m’expliquant que cela était prévisible. J’avoue que sur le moment, c’en est trop pour moi : d’abord la déferlante médiatique, puis l’ambiance plombée de la réunion du Collège et enfin un budget ridicule pour une commune qui compte plus de 35 000  jeunes de moins de 21 ans.

Comme je l’ai fait à de nombreuses reprises lorsque l’horizon s’assombrit, je prends la peine de me concentrer pleinement sur la question jusqu’à ce que je trouve une ébauche de solution. Au bout de quelques minutes, je prends mon téléphone (à l’époque il n’y avait pas encore de GSM) et je compose le numéro. Au bout du fil, on décroche.

A demain.