Episode 16 : C’était au temps où Schaerbeek « dénolsait »

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Deuxième partie : Prises de conscience – Episode 16

J’en viens maintenant à l’un des événements politiques les plus spectaculaires qu’ait connu Schaerbeek : la disparition de Roger Nols de l’échiquier politique. C’est en effet à la fin mai 1989 que Roger Nols envoya sa lettre de démission en tant que Bourgmestre (il restait toutefois conseiller communal). Ce fut la surprise la plus totale. Les médias avancèrent toutes sortes d’hypothèses pour tenter de comprendre cette décision aussi brutale qu’inattendue.

En réalité, seules sept personnes connaissaient ce que je crois être la véritable raison de son départ inopiné. Six de ces sept personnes sont décédées aujourd’hui. Je suis donc le dernier à savoir…

Personnellement, je ne crois pas au hasard. J’ai été à plusieurs reprises et souvent associé malgré moi, à des événements cruciaux qui ont eu un impact déterminant sur l’évolution de Schaerbeek. C’est manifestement le cas lors du départ inopiné de Roger Nols. Une histoire assez sordide.

Pour comprendre, il me faut parler d’Anne Nols, l’épouse du bourgmestre, qui avait longtemps dirigé le service « Communication » de la commune. Sa réputation n’était guère flatteuse. On disait d’elle qu’elle utilisait sciemment son statut de « première dame de la commune » pour régner telle une reine de Saba au sein de l’administration communale. Aujourd’hui, il serait impensable que des fonctionnaires communaux se laissent aller à pareilles dérives, entraînant dans leur sillage de nombreux collègues. Mais à la fin des années 1980, Schaerbeek vivait sur une toute autre galaxie et ce genre de comportement était admis.

Anne Nols passait en outre pour être une alcoolique notoire et, ne le cachons pas, incompétente dans son travail. Elle régna au total 6 années sur le service communication, département alors créé sur mesure… pour disons  » l’occuper ». Ce service était composé de quatre agents. Dès le matin, le gin coulait à flots (c’est du moins les échos que j’en avais) et pas question, pour les collègues, de refuser de trinquer avec « Madame ».

En 1988, quand ce service fut finalement dissous par le Bourgmestre lui-même, les fonctionnaires qui en faisaient partie présentaient tous une totale dépendance à l’alcool. Était-ce le résultat de six années passées au service Communication ? Personnellement, je le crois. Deux décédèrent d’une manière ou d’une autre suite des ravages de cet alcoolisme imposé. Deux autres s’en sont sortis grâce à un accompagnement aux Alcooliques anonymes. Quant à Anne Nols, elle mourra dans les années 90, elle aussi suite à une longue maladie liée à ses abus d’alcool.

Début 1989, Anne Nols se retrouve donc sans fonction et privée de son service. Ce qui ne l’empêchait pas de faire régulièrement des apparitions à la maison communale importunant les uns et les autres. Bien des fonctionnaires n’avaient malheureusement pas vraiment le choix : ils devaient la suivre dans ses extravagances. Plusieurs personnes bienveillantes m’avaient bien mis en garde de l’éviter à tout prix.

Ce dont j’ai été témoin en ce début de mai 1989 était de nature à bouleverser le futur de notre commune de Schaerbeek. C’est la première fois que je m’en ouvre publiquement. J’estime pouvoir le faire, car l’eau a coulé sous les ponts et les protagonistes ne sont plus de ce monde.

Un midi du début du mois de mai 1989, je déjeune avec un ami au « Oldies », un restaurant situé face à la maison communale, fréquenté par de nombreux politiques communaux.

A quelques mètres de moi, le bourgmestre Roger Nols est également attablé en compagnie du Secrétaire communal et du commissaire de police Victor Mathys. Ce dernier est un personnage… comment dire assez « particulier ». Il était capable de rester droit comme un « i » malgré les impressionnantes doses de whisky qu’il ingurgitait quotidiennement. Il tenait aussi en permanence une cigarette entre ses doigts jaunis par la nicotine. Cela dit, il m’a toujours donné des conseils qui s’avéreront bien utiles dans le monde politique impitoyable qui opérait à l’époque à Schaerbeek.

Alors que je m’apprête à quitter les lieux, Roger Nols m’appelle à sa table. Il me propose un pousse-café. Je me souviens parfaitement d’avoir pris un café avec un cognac. J’avais un rendez-vous à 14h30 et je prends congé. Tous les trois se lèvent en même temps que moi et nous regagnons la maison communale ensemble.

Nous entrons par la porte latérale, appelée « côté police », située à gauche en regardant la façade frontale de la maison communale. Nous franchissons la deuxième porte située près de l’accueil, avançons de quelques mètres. Je me prépare à tourner à droite pour rejoindre mon bureau qui est à cet étage (sous-sol). C’est alors que nous entendons des bruits étranges derrière la porte du bureau à notre gauche.

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Roger Nols saisit la poignée de porte et l’ouvre d’un geste sec. Nous voyons alors tous les quatre une scène qui nous laisse pantois et effarés. Sous nos yeux, Anne Nols épouse du Bourgmestre, en position plus que scabreuse en présence de deux policiers dont un commissaire…

Le Bourgmestre referme la porte. Il est livide. Pas un mot ne sort de sa bouche. Nous nous taisons aussi au vu de la scène dont nous venons d’être les témoins. Je continue en silence vers mon bureau, le commissaire Mathys va vers le sien, le Secrétaire communal se dirige vers l’ascenseur. C’est la dernière fois que j’ai vu Roger Nols avant sa démission.

Suite à cette humiliation, je suis persuadé (même si je n’ai pas de preuve formelle) qu’il a fait le choix de se venger. Je crois qu’il lui était insupportable qu’elle profite impunément de son statut d’épouse du bourgmestre pour s’autoriser les pires dérapages. Roger Nols démissionna pour se retirer dans sa maison de campagne située à Herock, petit village au fond de la province de Namur. Il avait cependant démissionné sans se préoccuper de désigner son successeur. Cela promettait de belles foires d’empoigne.

A demain.