Episode 84 : C’était au temps où Schaerbeek transcendait

Troisième partie : Action consciente – Episode 84

Cela fait déjà 6 ans que je participe au Meyboom, le plus ancien événement folklorique bruxellois qui depuis 1214, tous les 9 août avant 17 h voit la plantation d’un arbre au coin de la rue des Sables et de la rue du Marais au centre des anciens bas-fonds de Bruxelles. Aujourd’hui, suite aux travaux de la jonction Nord-Midi, réalisés après-guerre, les habitants des bas-fonds ont déménagé et vivent pour la plupart à Bruxelles-Ville, Schaerbeek et Saint-Josse.

C’est pour cette raison, comme je l’ai déjà expliqué, qu’un représentant de chacune de ces communes fut intronisé dans le groupe : Freddy Thielemans pour la ville, Jean Demannez pour Saint-Josse et enfin Jean-Pierre Van Gorp pour Schaerbeek.

Le président des buumdroegers est Antoine Wouters, dit Toine, un personnage haut en couleurs, dont l’école fut celle de la vie. Une grande gueule à la dimension de son cœur, une bonne humeur communicative presque permanente, philosophe et empathique, bref celui dont on rêverait comme grand-père.

Une chose m’intriguait chez lui. Chaque année dès la plantation terminée, discrètement Toine disparaissait, nous laissant fêter l’événement sans lui.

Le samedi 21 avril après un après-midi festif organisé dans notre local des bûumdroegers alors situé à Saint-Josse, je décide vers 17h de quitter la fête pour faire mes courses. Toine me demande si cela ne me dérange pas s’il m’accompagne. Nous voilà tous les deux embarqués en direction du magasin Delhaize de l’avenue Emile Verhaeren. Ce furent des courses dignes du folklore. Toine est arrivé à faire rire tout le magasin, me traitant avec humour de voleur !

Toine me demande ensuite de le déposer chez lui rue Geefs. Arrivés devant son pas de porte, une place de stationnement se libère justement. Je me gare et il me dit : « Viens Jean-Pierre, je veux te présenter à quelqu’un ».

Il habite le rez-de-chaussée. Nous entrons dans son appartement. Au centre de la pièce se trouve un lit médicalisé avec une dame endormie. A côté, une armoire sur laquelle des médicaments et du matériel médical occupent l’ensemble de la surface.

Toine me prend la main, et la dépose dans la main de la dame. Il lui dit avec une voix d’une douceur absolue : « Je t’ai amené l’échevin de Schaerbeek, on vient de faire les courses ensemble. C’est un ami. Poupoune, sert sa main ». Je sens alors sa petite main qui me sert légèrement.

C’est alors que Toine me raconte qu’il a fait son service militaire à l’âge de 18 ans chez les paracommandos. Il a vécu des tas d’aventures et s’est beaucoup amusé jusqu’au jour où lors d’un bal du quartier, son regard croise celui d’Ariane. Et voilà le coup de foudre qui n’apportera jamais d’orages.

Ils s’aiment et décident de se marier. Ariane est jeune et belle du haut de ses 29 ans. Ils habitent déjà ensemble et préparent leur mariage. Quelques jours avant la fête, Ariane fait une thrombose. Toine l’accompagne à l’hôpital en espérant ne pas la perdre. Ariane restera définitivement dans un état presque végétatif.

Toine décida d’aménager leur appartement de manière à ce qu’elle puisse continuer à y résider avec lui, avec les soins médicaux nécessaires prodigués par l’asbl créée par Francis Duriau « Soins à Domicile ». Joëlle qui fut l’une des infirmières d’Ariane, deviendra une amie de Toine et l’aidera jusqu’à la fin de sa vie.

Cela dura ainsi de très nombreuses années. Il fallait voir Toine, le dur, le bourru à la Jean Gabin lorsqu’il était devant son Ariane. Il était alors l’image que l’on pourrait donner à l’amour.

Durant toutes ces années, Toine est resté très discret sur sa vie privée. Je venais de comprendre pourquoi  il nous quittait après la plantation de l’arbre.

Ce 21 avril 2001, je découvre que Toine né dans les bas-fonds, sans avoir fait d’études, mais dont il émanait un charisme naturel, autorité et bonne humeur, lui qui faisait les choses très sérieusement sans jamais se prendre au sérieux, est en fait un homme qui a fait ce que peu feraient : offrir sa vie à celle qu’il aime depuis des années.

En politique comme ailleurs les donneurs de leçons son très nombreux. Toine était tout le contraire.

Pendant plusieurs années, les vendredis en fin d’après-midi, Toine, Geert Pierre et moi allions prendre un verre dans un bistro d’étudiants situé  rue des Palais (un des rares endroits où personne ne nous connaissait). On y jouait un jeu qui consistait à enfoncer un clou dans un morceau de tronc d’arbre.

Cela peut vous paraitre idiot mais pour nous trois c’était là une parenthèse qui nous rechargeait pour assurer nos défis futurs.

A demain.