Episode 113 : C’était au temps où Schaerbeek se parlait…

Troisième partie : Action consciente – Episode 113

Bernard Clerfayt a l’air grave. Il me demande s’il peut entrer. Nous nous installons dans le salon. Régine et Thierry sont partis dans le bureau. Nous sommes donc en tête à tête. Il me dit : « Je suppose que tu te doutes de la raison de ma visite ? ». Je réponds par l’affirmative.

Nous nous engageons dans une discussion d’environ 30 minutes. Elle est intéressante et paradoxalement au vu du contexte assez sereine et franche. C’est la première fois (enfin c’est ma perception) depuis des mois et des mois qu’il m’écoute attentivement. Son attitude est-elle sincère ou calculée voire les deux ? Je l’ignore.

A l’issue de notre échange, je lui dis que si nous avions eu ce type de tête à tête à bâtons rompus de temps en temps, nous n’en serions pas là.

Suite à mon bal des Classes moyennes, où les voyants s’étaient mis au rouge avec la venue de Laurette Onkelinx, Bernard Clerfayt m’avait invité dans un restaurant dont j’ai oublié le nom mais qui était au coin de l’avenue Emile Max et de la rue Victor Oudart. Au cours de ce déjeuner, j’avais par instant retrouvé cette complicité qui fut la nôtre autrefois mais sinon je le sentais dans un rôle de composition, contraint de surjouer pour m’agréer dans ma logique.

Il me demande ce que je souhaite concrètement. « Continuer à servir les Schaerbeekois ». Je vois que cela l’agace profondément et il sous-entend que l’on m’a endoctriné avec des belles paroles et de beaux projets.

Le moment n’est pas agréable car l’émotion est mêlée à la colère froide. Je coupe donc net en lui précisant que les dés sont jetés car j’ai expédié dans l’après-midi des centaines de lettres à la poste pour expliquer ma démarche de quitter le FDF pour le PS en tant qu’indépendant.

Bernard Clerfayt, très droit, me dit : « Nous n’avons dès lors plus rien à nous dire ». En effet, nous n’avons à ce moment-là plus rien à nous dire. Nos chemins se séparent.

Il enfonce le clou en lâchant : « Tu te rends compte que tu vas tout perdre ? ». Ma réponse fuse : « Ce qui valait la peine, je l’ai déjà perdu. Par contre je récupère mon amour propre ».

Il s’est levé et a tourné les talons. Régine l’a raccompagné. Dans le couloir, plusieurs panneaux en liège avec des photos épinglées. Sur l’une d’elles, une photo prise lors d’un Bal du Bourgmestre avec Bernard Clerfayt et moi avec nos épouses. Il y jette un regard bref et sort. La photo est toujours là aujourd’hui car on n’efface pas son passé.

Je tiens toutefois à souligner que Bernard Clerfayt et moi n’étions pas des amis mais des compagnons de route politiques. Je n’ai jamais été invité à manger chez lui et pareil pour lui. Ce n’était donc pas une « trahison » entre amis mais une rupture politique.

Dans ce genre de situation très intense, il y a toujours des moments où l’on se pose des questions, et comme toujours durant cette longue période de ma vie, la réponse vient vers moi.

Il se fait que le local de la section du PS schaerbeekois en 2006 se situe dans un espace qui jadis abritait un estaminet. C’est là à quelques jours près, 50 ans plus tôt, que mes parents m’ont conçu car ils habitaient au-dessus de leur taverne « Le Cyclo» située au même endroit, c’est-à-dire à l’angle des rues Rubens et Vandermeersch.

Lorsque ma mère m’attendait, ils décidèrent de remettre leur établissement qui s’appellera ensuite « Le Beaulieu », cela ne s’invente pas…

Je prends cela comme un signe de renaissance et c’est vrai que ma vie s’est totalement transformée, et surtout j’ai retrouvé la santé ce qui pour moi reste l’essentiel.

Le lendemain, une vingtaine de journalistes sont présents lors de ma conférence de presse concernant mes motivations ainsi que mes intentions suite à ma décision.

J’ai pu constater le chagrin de certains, la colère d’autres, l’incompréhension mais aussi la compréhension de beaucoup, principalement chez les seniors.

J’ai partagé la peine de militants du FDF qui n’arrivaient pas à réaliser ce qui se passait. J’ai accepté ceux qui en colère m’en ont terriblement voulu et pour certains qui m’en veulent encore. J’ai remercié ceux qui m’ont compris pas forcément au début mais avec le temps.

12 ans plus tard, je le répète comme au premier jour : ma décision n’a jamais été guidée par un intérêt politique personnel mais uniquement dans l’objectif de garder le cap et l’équilibre entre la rénovation de Schaerbeek et le bien-être de l’ensemble des Schaerbeekois. Cela peut sembler cliché mais c’est ainsi.

J’ai également ressenti une très grande tristesse vis-à-vis de Didier Gosuin. J’avais bien assimilé qu’il lui faudrait beaucoup de temps pour accepter ma décision. Nous nous sommes revus des années plus tard et retrouvé 10 ans après à l’occasion de mon 60ème anniversaire.

Au fil des années, j’avais noué une bonne et franche collaboration avec mes collègues les échevins Bernard Guillaume et Etienne Noël. Là aussi je comprends leur désarroi en apprenant ma décision. Je les remercie d’ailleurs d’avoir repris les rênes des activités seniors pour Bernard et Etienne pour avoir garanti la pérennité du Scharnaval.

Dans ma démarche, je suis passé de numéro 2 du Collège à l’équilibre que peut procurer la sérénité de n’être plus qu’un simple militant. Je me rappelle très bien qu’à l’époque, je pensais une alliance FDF-PS possible et restais convaincu que pour Schaerbeek cela aurait été le meilleur scénario.

Au niveau de la section PS de Schaerbeek, je suis accueilli avec beaucoup de fraternité. Je rencontre des personnes fort différentes, mais avec un seul et même idéal, ce qui me conforte, si besoin, dans la conviction intime de mon choix.

Lors de mon retour à la maison communale, le Bourgmestre a remplacé toute émotion par un besoin de vengeance par rapport au félon que je suis désormais à ses yeux.

A demain.