Livre « Schaerbeek de l’ombre vers la lumière » – Préface par Jacques Bouvier, Secrétaire communal honoraire : Au génie méconnu

Voici la préface du livre « Schaerbeek de l’ombre vers la lumière » par Jacques Bouvier, Secrétaire communal honoraire.

 » Dès notre première rencontre, je fus impressionné. Il avait un je ne sais quoi, fruit d’un équilibre savant entre finesse des traits et pathétisme de l’attitude. Et pourtant, au premier regard, il n’avait pas vraiment de quoi séduire.

Il trainait, l’air abandonné, dans un couloir du deuxième étage de la maison communale fréquenté par des fonctionnaires au mieux indifférents à ce curieux personnage.

Mais voilà, je me surprenais moi-même, à faire d’exprès détours pour lui faire un respectueux salut. Cela ne se commande pas !

Lui dardait, en tout temps, son regard halluciné un cri suspendu à sa bouche entrouverte. Il avait été baptisé le « génie méconnu » par l’artiste qui l’avait conçu, le très saint-gillois Jef Lambeaux qui s’était, selon certaines sources, représenté lui-même dans cette statue !

C’était bien imaginé et, convaincu de ce « selfie » avant l’heure, j’avais baptisée cette statue « Jef » !!

Comment a-t-il échoué ainsi dans ce sombre corridor de la maison communale de Schaerbeek ? Le mystère demeure entier!

Mais alors pourquoi évoquer cette curieuse créature, à l’origine douteuse, en préface de ce recueil de chroniques rassemblées par Jean-Pierre Van Gorp ?

Malin qui le saura, quoique le rapport est peut-être plus anodin qu’on ne le pense !

Réfléchissons : en lisant tous ces souvenirs je me replonge, naturellement, dans une série d’évènements que je vécus de près pour la plupart !

En « spectacteur » comme l’on dit !

Or, revivre ce théâtre du quotidien largement rythmé par les élus communaux, dont Jean-Pierre, c’est nécessairement ressusciter les décors dans lequel les scènes se succédaient, dont Jef que j’avais accueilli dans mon bureau dès que j’ai pu.

Ainsi, durant cette bonne dizaine d’années, que dura notre cohabitation, il a servi de réceptacle bienveillant à mes enthousiasmes…ou à mes frustrations ! Non Jef t’es pas tout seul !

Il y a un peu plus : avec le recul, l’abord rébarbatif de cette statue n’est pas sans évoquer, dans mon souvenir, la réputation sulfureuse qui a précédé l’arrivée de Jean-Pierre dans les corridors de la maison communale !

Jean-Pierre , lui-même, dans ses souvenirs, évoque sa solitude après sa relégation au deuxième étage de la maison communale, ce qui est quand même la première image que j’ai captée du « génie méconnu ».

Au-delà de ces parallèles un peu approximatifs, que retenir de ce livre de souvenirs !

Un homme politique plus connu à Uccle qu’à Schaerbeek, préfaçait ainsi ses propres mémoires : « Ces trente années d’action et de plaidoyers en faveur de causes définies représentent le grand effort de ma vie et je ne demande pas autre chose que d’être jugé sur pièces. »

Le pur hasard met ainsi en présence Jean-Pierre Van Gorp et…Winston Churchill, malgré que certaines mauvaises langues feront un impertinent parallèle entre le parcours politique un peu chaotique des deux hommes.

Foin de railleries, admettons que les « causes» évoquées par Winston n’ont pas grand- chose de commun avec celles vécues par Jean-Pierre. Les premières ont conditionné l’avenir d’une nation voire du monde tandis que les autres ont influencé partiellement la vie d’une municipalité urbaine.

Il faut être de bon compte : il s’est quand même agi durant ces 30 années de vie municipale de porter des projets exigeants d’enthousiasme, parfois nécessaire antidote à l’angoisse, dans un quotidien où les priorités s’entrechoquent.

Tout cela est relaté dans l’ouvrage préfacé avec les nuances, précisions et jugements personnels que l’auteur prend un évident plaisir à apporter.

Et alors très naturellement, la subjectivité de Jean-Pierre va s’exprimer tant par rapport aux évènements que par rapport aux différents acteurs qu’il a croisés.

Du coup, le lecteur est baladé du « café du commerce » au « café philo » avec la même spontanéité et à lui de faire le tri.

C’est aussi cela le charme de ce travail de mémoire : un même extrait peut susciter une franche indignation chez certains et une souriante adhésion chez d’autres.

Ce n’est donc pas « historique » ? Convenons que l’histoire c’est un peu comme la température : il y a le réel et le ressenti ce dernier étant quand même la vraie vie, non ?

Une illustration hors de toute polémique : plusieurs, dont l’auteur, s’accordent à affirmer que la commune a fêté son 200ème anniversaire en 1995…je tiens pour vrai qu’elle le fêtera en 2036 ? Les uns et les autres ont raison.

A l’été 1795 le territoire de la commune de Schaerbeek est séparé de la « cuve de Bruxelles » et constitue une « société de citoyens unis par des relations locales » conformément au credo révolutionnaire… français. Mais il est géré par des administrateurs nommés par des autorités extérieures.

En mars 1836, le législateur belge attribue aux communes un « corps communal » composé « de conseillers, de bourgmestre et d’échevins».

La différence essentielle est que ces membres du corps communal sont élus directement par la population schaerbeekoise dont ils auront à cœur à assurer le développement et le bien-être conformément au credo révolutionnaire…belge.

Et leur boulot n’a pas traîné : dès 1853, les élus schaerbeekois doivent affronter la menace d’un démembrement total de la commune , les vautours se nommant Bruxelles, Evere, Woluwe-Saint-Lambert et…Laeken au détriment de laquelle les élus locaux s’empareront d’une septantaine d’hectares au tournant du siècle pour les perdre une vingtaine d’années plus tard.

Donc selon que vous fixiez la naissance de la commune de Schaerbeek à 1795 ou à 1836, vous défendez une certaine idée de la commune…c’est l’histoire ressentie.

Bref, même en cette hypothèse la commune de Schaerbeek à plus de 180 ans au compteur ! Ces longues années, sont une très pertinente démonstration de l’axiome de la philosophie grecque qui veut que « tout est mouvement » !

Ce mouvement ne s’est évidemment pas arrêté en 1978 et ne s’arrêtera pas non plus en 2018, le tout dans un jeu d’ombres et de lumières.

Le mérite du travail d’écriture de Jean-Pierre est qu’il arrive à traduire dans les évènements la capacité d’un élu direct à participer au façonnage de cette société de citoyens dont il est issu.

A l’heure où accabler les élus se nourrit d’une stratégie collective plus ou moins consciente, la lecture de ces témoignages a quelque chose de vivifiant.

Au-delà des brèves de comptoir relatés de ci de là, cet ouvrage contient l’évocation de rencontres dont il est difficile de douter de l’humanité : Bichon, Toine et tant d’autres…. !

On ne peut ressentir et susciter pareille empathie si l’on est méchant homme !

Tout est aussi une ode à l’action et au travail de terrain sur l’air de « c’est au pied du mur que l’on voit le maçon » !

Et il est vrai que l’ouvrage ne fut pas complètement vain.

Faites l’exercice au fil de ces chroniques : reste-t-il quelque chose de toutes ces initiatives contées souvent de manière ubuesque ! Ben oui pardi ! Plusieurs subsistent encore : certaines sous une lumière aveuglante comme le carnaval et d’autres dans une clarté plus obscure comme la gestion des files dans la salle de guichets.

Et c’est alors que l’on se murmure pour soi-même ces vers imaginés par Emile Verhaeren peut-être lors d’une promenade autour et alentour de notre commune qu’il lui arrivait de parcourir : «  Homme, tout affronter vaut mieux que tout comprendre. La vie est à monter et non pas à descendre ».

Jacques Bouvier, Secrétaire communal honoraire de Schaerbeek