Un reportage digne de la presse à sensation de la RTBF au sein d’une école schaerbeekoise

Un sujet de la RTBF sur le réchauffement climatique et l’implication des jeunes a suscité de vives réactions à Schaerbeek. Il faut dire que le prisme par lequel est traité le sujet dépeint les élèves de l’Institut technique Frans Fischer sous un jour très peu flatteur. C’est le moins que l’on puisse dire.

« A l’Institut Frans Fischer, il y avait peu d’absents ce jeudi matin. Ou du moins pas plus que d’habitude. Dans cet institut technique et professionnel de la commune de Schaerbeek (en Région bruxelloise), on ne manifeste pas contre les changements climatiques. Pas parce que l’école s’y oppose. Simplement, dans cet établissement fréquenté en grande partie par des élèves issus de milieux modestes et de familles d’origine étrangère, on n’en a même pas l’intention. » Cela vous donne déjà le ton du reportage dans le cliché total. Cliquez ici pour en prendre connaissance dans son intégralité.

Et voici la réponse du corps enseignant de Frans Fischer :

Lettre ouverte à Madame Barbara Boulet, journaliste à la RTBF

Madame Boulet,

Comme beaucoup de vos lecteurs, nous avons parcouru avec attention votre article « Le réchauffement climatique ? Je ne sais pas ce que c’est (…) », paru le 1er février sur le site de la RTBF. Faisant suite à une interview réalisée le jeudi 31 janvier auprès des élèves de l’Institut communal technique Frans Fischer de Schaerbeek, cet article nous a grandement interpelés.
Ce jeudi 31 janvier justement, se tenait la troisième manifestation rassemblant des élèves du royaume souhaitant se mobiliser pour le climat. Intensément médiatisé, ce mouvement a pris beaucoup d’ampleur. Le message est clair : les jeunes veulent s’investir pour l’avenir de la planète et désirent faire entendre leur voix pour une politique climatique concrète et efficace.

C’est dans ce cadre que vous avez choisi de venir interroger nos élèves. Vous les avez choisis car, étant à l’école, cela voulait dire qu’ils n’étaient pas à la manifestation… Suite à la lecture de l’article qui en découle, nous nous posons de nombreuses questions. Et la première à nous venir à l’esprit concerne la finalité même de votre article. Quelle est-elle, en effet ? En vous lisant, nous retrouvons une suite de propos parmi les plus absurdes que vous avez entendus au cours de l’interview. Ce sont ces réponses que vous avez choisies de faire parvenir aux lecteurs, en les mettant en évidence sous forme de titres accrocheurs à l’instar de la presse à sensation. C’est sûr, de cette façon, votre article attirera davantage l’attention ! Néanmoins nous regrettons le manque de complétude des propos ainsi relayés, ceux-ci étant d’une part totalement désincarnés de leur contexte, et d’autre part clairement incomplets. Plusieurs élèves ont effectivement avancé des points de vue et arguments très corrects en faveur du climat. Rien de cela ne transparaît pourtant dans votre article. Nous n’ignorons pas les impératifs de séduction auxquels est soumise la presse dans son ensemble, mais nous déplorons que, trop souvent, cela se fasse au détriment d’une élémentaire honnêteté intellectuelle ou sans plus d’égards à la portée des mots.

Quel est donc finalement le message de votre article ? Dans les écoles comme la nôtre, les élèves seraient trop idiots, trop pauvres, trop étrangers pour aller manifester (ou la réciproque : ceux qui ne vont pas manifester seraient généralement trop idiots, etc.) ?
Ce n’est certes pas ce que vous avez écrit explicitement, mais à nos yeux, c’est ainsi que vos lecteurs pourraient le retenir. Or nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de discréditer la population des écoles à encadrement différencié comme la nôtre, ainsi que l’école en elle-même. Au-delà de vos intentions, quelles qu’elles soient, nous ne pouvons qu’attirer votre attention et celle de vos lecteurs sur les conséquences d’un tel article sur ces jeunes et sur leurs professeurs.

De plus, si vous aviez pris la peine de mieux connaître les sujets que vous interrogiez, vous auriez déjà une meilleure idée des raisons pour lesquelles se rendre à la marche pour le climat ne fait pas partie de leurs priorités. Nous vous invitons à faire comme Robin Williams dans « Le cercle des poètes disparus » : montez sur la table afin de vous souvenir « que nous devons constamment voir les choses différemment ». Sortez un instant de votre cocon et mettez-vous à leur place. Derrière le point aveugle de vos privilèges, il y a une réalité qui n’est pas sans difficulté. Et sans tomber dans le misérabilisme, nous aimerions vous rappeler que certains de ces jeunes vivent des situations que nous ne souhaiterions à personne (fuite d’un pays en guerre ; vie quotidienne dans un logement inadapté et trop exigu ; violences familiales ; absentéisme pour s’occuper des petits frères et sœurs ou jouer les interprètes pour la famille ; problèmes financiers sévères…). Dans de telles conditions, c’est déjà une victoire si nous parvenons à placer l’école plus ou moins au centre de leurs préoccupations.

Contrairement à vous qui avez eu le loisir de choisir des extraits d’interview pour illustrer un propos, nos élèves n’ont pas choisi le quotidien qu’ils vivent.
C’est sûr, s’ils regardaient un peu plus les médias en français…, s’ils faisaient des efforts pour ne pas s’absenter autant de l’école… Avec des « si » on refait facilement le monde, mais comme son nom l’indique, le conditionnel nécessite des conditions. Et ce sont ces conditions qui leur font défaut.

Nous ne pouvons que vous conseiller de prendre quelques minutes pour changer votre point de vue et vous mettre à leur place : si vous ne saviez pas comment vous alliez réussir à nourrir votre famille pour les dix derniers jours du mois, seriez-vous vraiment préoccupés par le réchauffement climatique ? Iriez-vous réellement manifester pour une politique climatique plus efficace ?

Vous avez été confrontée à des jeunes dont la vie n’est en rien enviable et dont les « tracas du quotidien », dont parle leur professeur de mathématiques dans votre interview, dépassent probablement ce que vous pouvez imaginer. Et de ces investigations, le seul point qui semble vous heurter est qu’ils ne se rendent pas à la marche pour le climat !
Il ne s’agit pas d’excuser l’attitude souvent désinvolte de ces jeunes face aux mobilisations pour le climat, mais plutôt de vous rappeler qu’il faut éviter les raccourcis et les amalgames. Le climat et la marche pour le climat ne doivent pas être corrélés. Ce n’est pas parce qu’un individu ne se rend pas à la manifestation pour le climat que ce dernier ne fait forcément pas partie de ses considérations. En outre, certains de nos élèves ont participé avec beaucoup d’intérêt à des projets destinés à les conscientiser face aux préoccupations écologiques. Il serait peut-être plus intéressant de mettre ceux-ci en évidence…

Pour finir, nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il aurait été plus judicieux de prendre le temps et le recul nécessaires pour comprendre l’ensemble de la situation, comme nous nous efforçons de l’inculquer à nos élèves.
Vous disposez de la plume et de la tribune vous permettant d’exercer pleinement le quatrième pouvoir, il s’agirait d’en rester digne.