Episode 8 : C’était au temps où Schaerbeek stagnait…
Première partie : Insouciance – Episode 8
Depuis 10 ans, j’avais accumulé les épreuves. Comme la mort de ma mère puis celle de mon père. Comme les soucis liés à la gestion de mon imprimerie et la cogestion de trois établissements horeca. A tout cela s’ajoutaient mes sorties nocturnes et un manque de sommeil presque constant.
J’ai fini par le payer cash. Un beau matin, je fus incapable de m’extirper du lit. J’étais littéralement épuisé. Mon état ne cessa d’empirer. Je fus victime d’un hoquet presque permanent. Plus grave encore, j’avais l’impression que mes mains devenues moites étaient entrées en transpiration…Un eczéma tenace acheva de me démoraliser. J’appréhendais de voir qui que ce soit, je me sentais oppressé. J’éprouvais un sentiment de non-vie. J’étais en train de toucher le fond. La dépression qui me guettait sournoisement avait fini par me rattraper en ce mois de septembre 1987.
Heureusement, je n’étais pas seul. Mes associés étaient aussi mes amis. Pendant trois mois, ils prirent entièrement la gestion de mes affaires. Petit à petit, je remontais la pente, même si au final, il m’a fallu près de 3 années pour sortir définitivement du tunnel.
J’en arrive au mois de décembre 1987. Devant chez moi, se déroule une altercation. La querelle (pour une place de stationnement) dégénère, opposant une personne du quartier d’origine espagnole et une trentaine d’individus. La voiture du pauvre monsieur est la cible de la vindicte populaire. De nombreux voisins et passants accourent et assistent à la scène sans broncher. Mon sang ne fait qu’un tour et j’interviens avec une certaine dose d’inconscience, je dois bien l’admettre. Etonnamment, tout ce petit monde finit par se calmer. Quand la patrouille de police arrive, personne hormis moi ne souhaite témoigner, ce qui me choque profondément.
Cet incident était révélateur d’un climat de plus en plus malsain dans le quartier. Cela faisait un petit temps déjà que les riverains et les commerçants de l’avenue Princesse Elisabeth se plaignaient d’un sentiment d’insécurité grandissant. Mais le courage n’était pas au rendez-vous lorsqu’il fallait réagir…
Vers le milieu des années 1980, certains quartiers de Schaerbeek ont été plus ou moins abandonnés par les pouvoirs publics locaux. Un changement lent et pernicieux. Les voyants étaient au rouge : peu ou moins de présence policière, effectifs en chute libre dans les services de la police et de la propreté publique, manque de travaux en voirie… Tous ces éléments faisaient-ils partie d‘une politique délibérée ?
Remontant la pente de la dépression, je suis plus que jamais déterminé à endosser le rôle de redresseur des torts. Cet incident constitue pour moi un petit électrochoc. Je décide donc de me rendre à la permanence du bourgmestre Roger Nols pour lui faire part de mon mécontentement et de l’inquiétante dégradation de la qualité de la vie de mon quartier.
Lorsque j’arrive à la maison communale, je suis le 7ème d’une file d’attente de près de 50 personnes ! Je pénètre enfin dans le bureau du bourgmestre. Mes yeux balaient rapidement la grande pièce où plusieurs œuvres d’art sont accrochées aux murs. Au centre, un grand bureau avec le bourgmestre Roger Nols assis, qui me lance : « Que puis-je pour toi ? »
Il me connaît. Onze ans plus tôt, mon père avait fait campagne à la tête d’une liste intitulée « Unité des Belges ». De plus, il sait que j’édite un journal local, « Le Grand Schaerbeek ». Je lui réponds sur le même ton : « Pour moi, rien monsieur le bourgmestre. Mais pour mon quartier plusieurs choses ».
Je lui explique l’incident. Il me rassure concernant les dommages sur le véhicule du voisin. Par contre, pour les dysfonctionnements évoqués, il me dit que tout cela n’est pas aussi simple. Il conclut en me lâchant : « Cela tombe bien que tu sois venu me voir, car je cherche des jeunes dynamique pour participer aux élections (de 1988) ».
Je suis étonné, un peu perplexe. Je ne m’attendais pas à une offre d’emploi ! Je lui réponds un peu pris de court que cela demande réflexion. Mais en mon for intérieur, les sentiments s’entrechoquent et une intuition va me faire prendre une décision importante.
A demain.