Episode 50 : C’était au temps où Schaerbeek mariait…

Troisième partie : Action consciente – Episode 50

Tous les mariages n’ont pas eu la solennité ni l’intensité de celui de Robert et Françoise, loin de là. Je me suis trouvé confronté à plusieurs reprises à des mariages pas très « orthodoxes ». Il y avait tout d’abord les mariages blancs, qui consistent à permettre moyennant finance à l’un des conjoints d’obtenir des papiers pour s’établir dans le pays.

D’autres mariages ont été presque sordides. Un jour, une jeune femme arrive dans mon bureau pour me signaler qu’elle avait changé d’avis et que le futur marié la menaçait de mort. Elle déposa plainte à la police. Mais pour sa sécurité, elle dut déménager. La Ville de Bruxelles, son employeur à l’époque, la muta aussi de service pour la protéger.

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Mais il y a eu bien pire. Dans les mariages arrangés entre familles, il y a deux possibilités. Ou bien la situation agrée les deux conjoints, et le mariage se déroule normalement. Dans le cas inverse…

Je garde en mémoire l’horrible souvenir d’un mariage d’une jeune fille de 18 ans avec un homme d’une quarantaine d’années qui semblait venir des montagnes de l’Oural. La jeune femme était accompagnée de deux personnes : son oncle et son père qui faisait office de témoin. Je le répète quel horrible souvenir que de la regarder dans les yeux en lui demandant si elle consentait à prendre cette personne comme époux. Le service transmit le dossier chez le procureur du Roi de l’époque mais nous n’avons jamais eu de retour.

Je me suis souvenu des propos tenus par la directrice de l’école de couture de la rue Philomène, deux ans plus tôt. Elle avait organisé en collaboration avec Bouton blanc un défilé de mode avec ses élèves pour présenter leurs créations. Quelques mois plus tard, elle m’avoua qu’elle ne ferait plus jamais ce type d’événements : des pères de famille avaient profité du défilé pour disposer de photos de leurs filles défilant comme mannequins afin de mieux les marier. Cela m’avait consterné à l’époque.

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De telles expériences m’ont incité à participer à la mise en place d’une plate-forme des officiers d’Etat Civil de la Région, destinée à se faire mieux entendre par le parquet lors de constats graves.

Intervenir d’autorité dans de tels mariages n’est pas évident. Je me souviens avoir refusé de marier un faux couple au vu de leur comportement et de leur arrogance face aux questions que leur posait l’administration. Ils ont été jusqu’à m’insulter. Suite au refus de Schaerbeek de les marier, ils ont déposé un recours auprès du procureur du Roi et ont obtenu gain de cause. J’ai donc dû les marier sous leurs sourires méprisants. J’avoue avoir pris sur moi…

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Pour terminer cette parenthèse « mariages », j’estime avoir fait preuve d’une belle faculté d’adaptation, car j’ai vu défiler à peu près toutes les situations possibles et imaginables (il est vrai que j’ai officié à peu près 3.000 mariages en six ans, entre 1995 et 2000). La plupart du temps, c’était un moment de fête, même lors de mariages arrangés. Sauf une fois !

Il s’agissait d’un mariage auquel une trentaine de personnes participaient. Arrivent les mariés. La jeune femme paraît un peu débraillée. En outre, elle est en train de chiquer sans aucune discrétion et une mèche pend devant la moitié de son visage. Un peu bizarre, mais soit. C’est son droit et à ce stade, je n’ai pas à intervenir. Lui ne présente guère mieux : il a les cheveux décoiffés, un blouson déchiré et un pantalon élimé. Je me dis que c’est leur problème, pas le mien.

Mais là où je me suis mis en colère (imaginez la scène, la mariée en train de chiquer, le marié totalement absent et moi qui me lance dans ma tirade habituelle) lorsque le GSM  (nous sommes déjà en 1999) du futur marié se met à sonner. A ma stupéfaction, celui-ci décroche. J’arrête mon discours, mais l’homme continue à parler dans une langue que je ne suis pas parvenu à identifier. Mon sang ne fait qu’un tour. Je bous. Je regarde ma montre. Je lui accorde encore 3 minutes pour raccrocher. Je peux vous dire que 3 minutes, c’est déjà bien long. L’homme continue sa discussion en m’ignorant, l’aiguille de ma montre tourne. Au final je me dis : « Pourvu qu’il ne raccroche pas maintenant ».

Les trois minutes écoulées, je hurle : « Toi, ta future femme et tout le reste dehors !!! ». Mes cris ont alerté les huissiers. Tout le monde quitte la salle. Je ne les ai plus jamais revus. Il y a quand même des limites de bienséance à ne pas dépasser.

A l’époque je signais à peu près 7 actes de divorce pour dix mariages. Il était  intéressant d’observer qu’il y avait dans les mariages 30% de remariages.

Aucun doute : l’Etat civil-Population est un fabuleux observatoire de la société. Ce constat s’est vérifié avec les nombreux centenaires schaerbeekois.

A demain.