Livre « Schaerbeek de l’ombre vers la lumière ». Ils l’ont lu : Daniel Couvreur

Voici les impressions sur le livre « Schaerbeek de l’ombre vers la lumière » du journaliste Daniel Couvreur qui a couvert l’actualité schaerbeekoise pour le journal Le Soir.

 » L’Enfoiré du Resto de l’Espoir. En 1989, les Enfoirés donnent leur premier concert au profit des Restos du cœur de Coluche au Zénith de Paris mais, à Schaerbeek, c’est avec un comique de la politique que j’ai rendez-vous. Je frappe à la porte de l’imprimerie Van Gorp, avenue Princesse Elisabeth. Le patron m’accueille, visage fermé. Jean-Pierre a la trentaine fatiguée et le regard taciturne. Dans son bureau obscur, il m’assied face au tableau apocalyptique d’un artiste dépressif. Sur la défensive, il me parle à demi-mot de son engagement à balayer l’insécurité de son quartier.

C’est avec ce programme qu’il se présente aux élections locales. Le bourgmestre Roger Nols voit en lui une promesse de renouveau politique. S’il avait pris la précaution de consulter Madame Yamilah, la voyante extra-lucide du fakir Ragdalam, le mayeur populiste se serait sans doute abstenu. Jean-Pierre Van Gorp n’avait rien d’une promesse. A Schaerbeek, il allait rapidement s’imposer comme le phénomène politique du siècle…

A la fin de notre premier entretien, Jean-Pierre me glisse un faire-part mortuaire.  Il me dit n’avoir rien trouvé de mieux pour imprimer son tract électoral et se réjouit de ce trait d’humour noir. Je pense  qu’il vient de commettre un suicide médiatique. L’ensemble de la presse condamne dans  ce faire-part l’acte ubuesque d’un fils naturel de Roger Nols. Mais contre toute attente, ce battage permet au 27e candidat de la liste N.O.L.S. de se faire un nom. Jean-Pierre Van Gorp est élu et il a bien l’intention de prouver aux journalistes comme aux citoyens que le méchant, à Schaerbeek,  « c’est pas lui » !

Inconnu en politique, il revendique l’échevinat empoisonné de la jeunesse. Pour lui signifier clairement le désintérêt qu’il porte à cette tranche de la population, Roger Nols l’enferme dans les bas-fonds de l’hôtel communal. C’est là que je le retrouve pour notre seconde rencontre. Privé des ors de la fonction et de secrétariat, doté d’un budget annuel de 1,5 cent par tête d’habitant de moins de 18 ans, Jean-Pierre Van Gorp est abattu mais décidé à prouver qu’il n’a rien d’un saltimbanque. S’il a les poches vides, sa tête est pleine de culot. Le nouvel échevin fait le pari de la provocation positive et rompt ouvertement avec les slogans réactionnaires des Nolsistes.

Mon téléphone chauffe. Jean-Pierre Van Gorp ouvre une Maison de la Solidarité et un Resto de l’Espoir. Il part « en vacances à Schaerbeek », avant de descendre la Lesse avec des jeunes qui n’ont jamais vu d’autres rapides que ceux du ruisseau Josaphat. Il m’embarque à bord d’une croisière « Bouton Blanc » en mer du Nord contre « le shoot et le shit », où je vomis mon quatre heures en même temps que mes certitudes. Entre-temps, au Collège des bourgmestre et échevin, ses actions sont systématiquement désavouées, boycottées, sabotées. La mise en garde de Didi dans Le Lotus bleu hante les couloirs : « Lao Tseu l’a dit, il faut lui couper la tête ».

En 1991, Jean-Pierre Van Gorp est brutalement privé de ses attributions. Réduit à l’état d’échevin fantôme, il devient la cible de la vindicte des extrémistes identitaires du groupe Philippart. A chaque fois que je cite Jean-Pierre Van Gorp dans Le Soir, je reçois des courriers vénéneux, composés à l’aide de caractères anonymes découpés dans les journaux. Au terme d’une assemblée houleuse du conseil communal, je suis même contraint de quitter la salle par une porte dérobée. Dehors, sur la place Colignon, j’aurai la mauvaise surprise de retrouver ma voiture avec deux pneus lacérés de coups de couteaux. L’extrême-droite était déjà bête et méchante.

Jean-Pierre Van Gorp a souvent été réduit à un avatar du folklore politique. L’échevin nolsiste Jean-Paul Bosquet l’a traité un jour, devant moi, « d’Enfoiré du Resto de l’Espoir ».  Vingt-cinq ans plus tard, c’est peut-être le plus beau des compliments. Jean-Pierre Van Gorp a tout simplement eu l’audace de croire avant, envers et contre tous, au courage des idées pour réenchanter l’image de Schaerbeek. »

Daniel Couvreur